Les foncières verdissent leur portefeuille Conscient de son impact, de sa capacité d ac- tion en matière de réduction de l empreinte carbone et de la demande du marché (inves- tisseurs comme utilisateurs), l immobilier s est tourné assez nettement vers l investis- sement responsable. « Pour l immobilier, il existe deux enjeux importants par rapport à la transition écologique. Premièrement, en tant que propriétaires d actifs immobiliers, la maîtrise énergétique des bâtiments existants : il faut être capable de réduire la consomma- tion, au risque, sinon, de voir son actif sortir du marché à cause d un coût énergétique trop élevé. La seconde dimension est le risque poli- tique pour les promoteurs-développeurs du fait d un droit à construire de plus en plus condi- tionné à l atteinte de seuil écologique pour les matériaux et des processus de construc- tion », indique Laurent Morel, président de l Institut français pour la performance du bâtiment (Ifpeb) et associé du cabinet de conseil Carbone 4. Pour exemple, le marché des green bonds, des fonds levés pour financer des actifs pré- sentant une capacité avérée à réduire l em- preinte carbone. En 2019, selon la Climate Bonds Initiative, 253 Mds$ de titres nou- veaux ont été émis dans le monde, contre 167 Mds l année précédente (+51,5 %). Covivio et Icade, qui ont compté parmi les précurseurs de l investissement responsable dans l immobilier, ont émis un green bond respectivement de 500 M en 2016 et de 600 M en 2017. Chez Icade, ces émissions obligataires ont visé le financement ou le refinancement d actifs immobiliers de la foncière de bureau, qui représente 9 Mds , soit 70 % du portefeuille global de la société. Le premier green bond émis par Covivio portait sur un portefeuille de 13 actifs, tan- dis que le second est adossé à quatre projets situés dans des métropoles européennes (Paris deux projets , Lyon, Milan). Ces financements servent à la fois à l acqui- sition de biens, à la restructuration ou au développement d immeubles neufs présen- tant trois critères d éligibilité principaux : une certification HQE Très Bon ou Breeam Very Good, une localisation à 400 m maxi- mum ou à moins de 10 minutes à pieds d un transport en commun, et la mise en place d une annexe verte aux baux afin de sensibiliser les locataires aux pratiques d économie d énergie et responsables. Avec cet outil et selon les green bonds principles édictés en 2014, les émetteurs doivent pro- duire un reporting auprès de leurs investis- seurs chaque année, pour démontrer que les fonds prêtés ont bien été alloués aux actifs vertueux (fléchage des fonds) et que cela a eu un impact concret en matière de
réduction de CO2. En 2018, plus de 900 t de CO2 ont été économisés par Icade grâce aux investissements issus des green bonds. De son côté, Covivio a enregistré une baisse de 4,8 % de ses émissions carbone entre 2018 et 2019. La montée en gamme des actifs ciblés permet aussi de réduire l inten- sité énergétique des immeubles, la consom- mation d eau et d améliorer le traitement des déchets. Cependant, si « les green bonds sont un très bon produit » estime Laurent Morel, il faut quand même que l investisseur soit capable de juger de la pertinence des engage- ments pris, car les règles ne sont pas homo- gènes dans le fléchage des investissements. Choisir un green bond qui ait un réel effet de décarbonation demande du discernement ». Sur le principe, les green bonds impliquent de faire progresser la qualité environne- mentale des portefeuilles des foncières afin d assurer une rotation efficiente des actifs financés. « Quand nous avons émis notre green bond de 600 M en 2017, notre panier éligible représentait déjà 1 Md . À hori- zon 2023, nous devrions atteindre plus de 2,1 Mds d actifs éligibles à un green bond, de quoi pouvoir envisager une nouvelle émission sous ce format, lorsque nous en aurons besoin », détaille Victoire Aubry, CFO d Icade. En parallèle, la foncière s est engagée sur le financement d une enveloppe d investis- sement pour des projets concentrés sur les actions RSE autour de trois thématiques : les équipements favorisant l efficacité éner- gétique, la production d énergie renouve- lable et la mobilité durable. La qualité environnementale est ainsi devenue une nécessité pour les fon- cières. « Il est très difficile de quantifier la
plus-value d un actif plus vertueux sur le plan environnemental. Il est cependant cer- tain que ce qui était hier un «nice-to-have» est devenu un «must-have» et le sera encore plus demain, souligne Antoine Frey, PDG du groupe éponyme. Nous avons une activité qui consomme énormément de financement, que ce soit en capitaux ou en dette, et il est cer- tain que les investisseurs et les financeurs ont intégré à leurs critères le facteur RSE de façon rigoureuse. Une entreprise qui n entre pas dans ce type de démarche pâtira mécaniquement un jour, si ce n est pas déjà le cas aujourd hui, dans l obtention de capital et de crédit ou dans les conditions proposées. » Un change- ment de paradigme appuyé par Patrick Goeuriot, directeur du patrimoine de ICF Habitat Nord-Est : « Au moment d analyser les dossiers d investissement, nous regardions principalement, il y a quelques années, le cri- tère financier, mais le critère développement durable est aujourd hui l un de nos six critères d arbitrage, au même titre que l équilibre de l opération. Plus l immeuble sera vertueux, plus il durera dans le temps et plus les loca- taires auront envie d y rester. Cela signifie une baisse de la vacance et des impayés, le tout sur une durée plus longue. » C est pourquoi dans le comité de sélec- tion des investissements d Icade, le critère RSE est désormais devenu primordial, au même titre que des indicateurs financiers et techniques. « Pour les actifs de notre por- tefeuille qui ne sont pas vertueux sur le plan
« Il faut reconnaître que les impacts sur le financement de la transition bas carbone sont loin d être à la hauteur de la lutte contre le changement climatique »
Lire l interview de Karsten Kallevig, Norges Bank
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Juillet 2020 #167 Magazine Business Immo | 34
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