« La grande ville africaine n a pas d autre solution que de se nucléariser en de multiples mini-centralités »
Les données de bases sont connues, réchauffement de la planète, aug-mentation de la population mon- diale, raréfaction de la ressource eau, nouvelles sources d énergie, concentrations urbaines Les enjeux planétaires auront des conséquences très rapides dans cette prochaine décennie, la ville africaine est en première ligne ! En première ligne, car le continent africain est déjà un condensé mondial de ces grands enjeux, et ses méga- lopoles en subiront les conséquences parfois de manière très rude. Car le poli-tropisme qui sévit en Afrique depuis déjà quelques décennies continue de se renforcer alors même que les villes existantes sont pour beaucoup en limite de rupture. Si déjà deux mégalopoles africaines dépassent les 20 mil- lions d habitants, un très grand nombre de villes croissent de manière fulgurant, et les indices observent un doublement moyen des populations urbaines sur 17 ans seule- ment, +4 % par an ! Face à ce constat que certains dramatisent fortement, la réalité reste néanmoins préoccupante. Sans vou- loir généraliser, il est aisé de constater que les grandes villes d Afrique souffrent des mêmes maux. Les problèmes d adduc- tion d eau, et surtout d eau potable, sont récurrents, tout comme ceux des réseaux d assainissement. La gestion des déchets, depuis leur ramassage jusqu à leur traite- ment, reste très sommaire, voire précaire dans de très nombreuses agglomérations On est encore loin du tri sélectif. L hygiène demeure une réelle préoccupation avec de forts risques sanitaires liés à l insalubrité bien souvent sous-estimée. L énergie fait défaut bien fréquemment avec des coupures d électricité récurrentes. Quant à la gestion des déplacements, les solutions de transports publics sont rarement efficaces, laissant souvent place aux « cars rapides » véritables vecteurs de liens sociaux par ailleurs. Oui, la ville africaine en général est très largement sous-équipée, majoritairement insalubre sur son faubourg, et pourtant, elle ne cesse de s étendre Ce constat doit nous ame- ner, nous, observateurs avertis, à rechercher les clés de sortie d une spirale qui ne doit pas être infernale. Si l organisation des villes va devenir le plus grand problème à gérer pour nombre d États africains, il est temps que les gouvernements prennent la teneur de ces grands enjeux. Car la ville est l affaire de ceux qui l administrent, en l occurrence les maires ou les institutions similaires qui en ont la charge. C est donc dans la décen- tralisation de la gestion, corroborée à l oc- troi de moyens conséquents, et ce dans le cadre une délégation radicale des pouvoirs, que les États devront tenter de solutionner les grands problèmes énumérés plus tôt. Le rôle du maire devient central, il doit avoir les moyens d une vraie politique de déve- loppement et de gestion de sa ville. En cela, il doit pouvoir s appuyer sur les expertises nécessaires, celles d urbanistes par exemple.
Certes, l urbanisme ou la science de la com- position des villes est extrêmement ancien, les Grecs puis les Romains en ayant depuis l Antiquité inventé les principales règles, mais cette science a parfois été oubliée et les conséquences sont graves. L urbanisme est avant tout une discipline de l anticipa- tion, faisant aussi appel a une forte capacité d adaptation, car les temps sont longs et nécessitent de la flexibilité et de la souplesse. Prévoir par le dessin l extension des villes, et anticiper routes, places ou équipements font notoirement défaut à bon nombre de mégapoles qui poussent dans une anarchie parfois irréversible. Seuls des maires affublés de réels pouvoirs et de budgets conséquents assistés d équipes expertes pourront redon- ner de l échelle aux faubourgs tentaculaires de ces villes expansives. La multiplicité de centralités et de polarités pourra éviter des déplacements trop longs pour redonner une échelle de temps viable aux déplacements quotidiens. Dans de nombreux cas, la clé de la réussite sera le fruit d un travail très fin de couture urbaine consistant à créer des quartiers où la vie quotidienne sera à dispo- nibilité des habitants. Dans cette idée simple de la capacité de réaliser 80 % de ses activités de la semaine à quelques dizaines de minutes de son foyer, ce sont ces noyaux villageois qu il faut générer, composés d habitat, de services, de marchés, d écoles, d ad- ministrations de proxi- mité. La grande ville africaine n a pas d autre solution que de se nucléariser en de multi- ples mini-centralités. La maîtrise des déplacements passe donc par moins de nécessité de déplacements, donc par plus de densité, mais aussi par la mise en place de moyens de transport efficaces pour les trajets plus longs. Dans de nombreuses structures urbaines, les transports par câbles suspendus pourraient par exemple être une solution efficace à la mobilité. Enfin, les concessions en énergie, eau, collecte de déchets devront être la hauteur des enjeux et ce très rapidement, car ils procurent le bien-être, mais surtout l hygiène indispen- sable au monde moderne. C est ainsi par la frugalité que de nombreux problèmes vont trouver leurs solutions. Moins de déplace- ments, moins de nécessité d énergie, moins de consommation d eau, une vraie gestion à la source des déchets sont les éléments constitutifs d une gestion anticipée des pro- blématiques urbaines récurrentes au service d un mieux vivre de la ville. Cette décen- nie sera celle de cette prise de conscience ou alors il commencera vraiment à être trop tar. La ville africaine est à la croisée des che- mins.
Juillet 2020 #167 Magazine Business Immo | 54
TERRITOIRE / DAKAR