EN COUVERTURE / VERS DES VILLES DURABLES ET DÉSIRABLES
Véritable armature de la ville au sol, espace public et espaces verts permettent de pen- ser la ville à l échelle du piéton, de « rendre désirable la ville des courtes distances » et de « rendre aux citadins le plaisir de la déambulation »7.
Des rez-de-ville créateurs de vitalité Les initiatives pour animer les rez-de-chaus- sée ne manquent pas. Ainsi, tous les acteurs de l immobilier et de la ville, au premier rang desquels les architectes, ont été invités ces dernières années, à l occasion de diffé- rents appels à projets innovants, à raisonner à l échelle de quartier, ou « macrolots », à concevoir des « concepts » d activation de pieds d immeubles, engendrant parfois une forme de standardisation des réponses. L homogénéisation des produits immobiliers, les normes et certitudes qui ont longtemps guidé nos approches doivent être reconsi- dérées pour permettre de faire émerger des innovations architecturales et urbaines, des approches plus spontanées, surprenantes. Pour créer les conditions favorables à l émergence d un rez-de-ville et en accep- tant la faible valeur immobilière de certains rez-de-chaussée, ces derniers doivent être en capacité d établir des complicités avec l espace public, d enrichir la rue en étant l interface subtile entre elle et les éléments bâtis, de rendre de l espace et de redonner de la place aux gens. Nous devrions ques- tionner la capacité des rez-de-chaussée à accueillir une fonction différente de celle des étages des immeubles dont ils consti- tuent le socle, et à participer à la création d une ambiance et d un paysage urbain. La qualité du bâtiment et sa valeur tiendront alors à différents points : l adressage, la capa- cité à animer la ville, d offrir à la ville une rue,
7- Ariella Masboungi, « (Ré)aménager les rez-de- chaussée de la Ville », Le Moniteur, 2013
un square, une galerie, un espace de détente Le travail de limites ambiguës entre public et privé peut-être une réponse pour favo- riser les installations informelles. Dans un monde d accélération, d uberisation et de mouvement, de personnalisation et d ap- propriation, les nouvelles aspirations socié- tales ont ainsi mis en avant les interventions éphémères ou tactiques, comme espaces de préfiguration ou de test d usages émergeant de l expression d habitants ou autres usa- gers. L urbanisme tactique et l urbanisme transitoire questionnent surtout notre capacité à planifier et réguler la « flexibilité » dans nos projets si figés, et nous invitent à déconstruire nos automatismes pour favori- ser la vitalité de nos villes. Cette vitalité pourrait alors à nouveau se mesurer à grande échelle, dans une logique d ancrage local et d identité territoriale à tra- vers les tensions et synergies entre territoires.
Revoir les méthodes et critères d arbitrage La valeur ajoutée de nos projets ne vien- dra pas forcément du produit immobilier, mais probablement de nos rez-de-chaussée conçus comme une porosité entre intérieur et extérieur, un prolongement de la vie en ville. Espace semi-public, mais prometteur de développement de « communs », il faudra alors requestionner leur business model et leur montage, dans une logique de copro- duction avec toutes les parties prenantes, les acteurs de la planification, de la norme, du profit, ainsi que les usagers. Il convient de développer une culture de « l impact » pour que les rez-de-chaussée ne soient pas le résultat de ce qui se passe au-dessus, mais le vecteur de l intensité de la vie urbaine qui réponde aux besoins des habitants et utilisateurs divers. Via les poli- tiques de RSE des entreprises notamment, l utilisateur est certainement une des clés
pour disrupter notre industrie, bousculant les codes établis d experts de la production urbaine et immobilière. Concevoir une ville décarbonée, inclu- sive et soutenable devrait nous inciter à de nouveaux critères d arbitrage de nos pro- jets dans une approche multibénéfices, en mettant au même niveau critère de renta- bilité pour l entreprise, effets positifs pour la planète et pour la société : analyser un projet à l aune de sa capacité à générer des externalités positives qui constitueront la valeur immatérielle des solutions que nous développerons. Les projets démonstrateurs d une nouvelle façon de faire nous permet- tront de générer de nouveaux standards, de donner naissance à de nouveaux indi- cateurs appuyés sur la performance pour accélérer des tendances et pérenniser nos investissements. Se réfugier dans la facilité des anciennes méthodes ne suffit plus. Il faut alors sor- tir des débats clivants sur la densité et la constructibilité en replaçant la question du besoin de l usager et de l expérience du pié- ton, piste de l acceptabilité de la ville. La réflexion autour du rez-de-ville est com- patible quels que soient les programmes, quelle que soit la mixité, quelle que soit la hauteur, et peut impliquer chaque maillon de la chaîne immobilière. La ville est un système complexe qui néces- sitera encore plus qu avant une approche à 360°, favorisant des pratiques fondées sur l intelligence collective, avec de nouvelles compétences à coordonner (sociologue, hydrogéologue, écologue, citoyens ) au-delà de la construction et de la pro- motion classique, pour ne pas se limiter à exploiter uniquement les opportunités de marché d une rentabilité court termiste. Concilier valorisation, durabilité et crois- sance pérenne s impose comme un défi enthousiasmant.
32 | Magazine Business Immo #168 Septembre 2020