EN COUVERTURE / VERS DES VILLES DURABLES ET DÉSIRABLES
Faiblement efficaces, ses systèmes (chaud/ froid, lumière, ascenseurs et informatique) auront consommé sur 60 ans plus de 3 TWh d électricité soit, avec le mix énergétique de New York, une émission d environ 600 000 t de CO2. Enfin, ses 15 000 usagers quotidiens auront émis en moyenne 800 kg de CO2 par an pour leurs déplacements pendulaires, soit plus de 700 000 t de CO2 depuis l inaugura- tion. La prépondérance de la mobilité dans le bilan carbone complet est flagrante. Mais imaginons maintenant cette tour bâtie en France en 2020, bénéficiant de notre mix énergétique bas carbone et de nos transports en commun : ses émissions de construction seraient réduites de 20 %, celles de fonction- nement baisseraient massivement de 75 %, et celles des mobilités de 25 %, voire plus selon le taux d usage des transports en com- mun du site d implantation. Si la conception permet d améliorer les performances intrin- sèques d un bâtiment, le site reste le premier facteur de réduction des émissions carbone et la densité permet d en tirer le meilleur parti. Troublante coïncidence, l immobilier bas carbone renoue avec les fondamentaux « location, location, location ».
Axer la densité sur les pôles de mobilité De même que les marchés immobiliers fluctuent par quartier, cette cartographie énergétique des territoires évolue avec des infrastructures publiques telles que les pistes cyclables et transports en commun qui amé- liorent la desserte, le très haut débit ou encore les réseaux de chaleur et de froid qui optimisent le bilan carbone de la production d énergie thermique (stockage pour réaliser de l effa- cement de combustibles fossiles, priorisation des intrants renouvelables ou inscrits dans une filière de recyclage, géothermie et smart grid). Or l efficacité de ces aménagements linaires est directement liée à la densité urbaine. Sur l adéquation du bâti aux infrastructures de la transition énergétique, il faut paradoxalement reconnaître aux aménagements des années 1960-80 une vision de la forme urbaine adap- tée aux enjeux contemporains malgré les passoires thermiques in fine construites. Si ces mêmes « Modernes » ont commis l erreur historique de miser sur la voiture individuelle, cinq décennies de développement de l offre de transport parachevées en Île-de-France par le projet du Grand Paris Express pour- ront permettre de corriger la donne pour de nombreux quartiers. Pour peu que l on sache tirer parti sans dogme ni tabou de ces pola- rités anciennes et futures, un Grand Paris de la densité « par contrastes » est possible, c est-à-dire très dense sur ses pôles de mobi- lité et rendu à la nature sur la majorité de sa surface, ce qui esquisserait une alternative de l étalement urbain et une nouvelle dualité ville/nature.
Densité raisonnée Réagissant à la crise du Covid, certains observateurs ont pointé les risques de la densité, perçue comme plus prompte à la contamination et opposée au désir de confinement à la campagne. Quelques mois plus tard, les données montrent que l exode urbain annoncé n a pas eu lieu, que les soins et le suivi de l épidémie ont été plus performants en ville qu à la campagne, que l économie requiert des infrastructures numériques, et enfin que les principaux impacts humains et sociaux de l épidémie se sont concentrés sur les populations fragiles, souvent celles exclues du jeu des proximités urbaines1. Au sortir du premier chapitre de cette crise sanitaire, il semble plausible que nous échappions à la rupture radicale appe- lée par certains d un nouvel hygiénisme de la maison individuelle aux conséquences
1- Tribune d Olivier Piron et Jacky Richard, « La crise sanitaire doit déboucher sur une analyse de la politique urbaine », Le Monde 18 juillet 2020.
environnementales et sociales désastreuses. De manière encourageante, une enquête2 sur la perception du confinement selon de la typologie du logement suggère un retour en grâce d une certaine architecture de la hauteur, dont notamment celle des années 19703 où le logement, traversant, intégrait systématiquement de grandes fenêtres, des balcons, terrasses ou loggias. Cette défense d une densité raisonnée relève heureusement de l évidence pour la majorité des aménageurs, élus locaux, pro- fessionnels de l immobilier et acteurs de l énergie. Toutefois, si les enjeux techniques de la hauteur sont de mieux en mieux maî- trisés (réglementation incendie simplifiée pour les immeubles de 50 m, construction d IGH en ossature bois, conception d im- meubles réversibles, nouveaux systèmes techniques ), les obstacles à sa mise en pratique sont aujourd hui réglementaires, financiers et politiques. Réglementaires, car l abaissement généralisé du plafond des hauteurs depuis les années 1970 a gelé l évo- lution spontanée des fonciers, à l exception notable des grandes ZAC. Financiers, car malgré un marché immobilier bien portant les budgets travaux alloués à la construction génèrent un bâti en deçà des standards de qualités constructive et environnementale de nos voisins européens. Politiques enfin, car, pour lever ces obstacles, les élus locaux doivent convaincre leurs électeurs sur le champ de l émotion. L issue par le haut passera nécessairement par l architecture et le design, par lesquels pourront arriver des projets désirables à même de refaire consen- sus et de ramener nos villes sur le chemin d une sobriété énergétique effective tout en répondant à la crise du logement.
2- Enquête de l Idheal « Aux confins du logement » basée sur plus de 8 000 réponses à un questionnaire, mars-mai 2020. 3- Cf. Article d Isabelle Rey-Lefebvre, « Les immeubles des années 1970, et leurs avantages, sont revenus en grâce pendant le confinement », Le Monde 2 juillet 2020.
« L issue par le haut passera nécessairement par l architecture et le design, par lesquels pourront arriver des projets désirables »
Pour aller plus loin Ricky Burdett, Shaping Cities in an Urban Age, Phaidon Press, 2018.
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Septembre 2020 #168 Magazine Business Immo | 41