GRAND ANGLE / FAUT-IL ENCORE CONSTRUIRE DES BUREAUX NEUFS ?
Un effondrement, n ayons pas peur des mots. Avec 913 200 m2 placés à fin septembre 2020, le marché locatif des bureaux en Île-de-France s effondre. Le plongeon est historique : à l ère du Covid-19, il s agit peu ou prou d un dévissage par deux du volume sur un an (-46 %) et inférieur de plus de 60 % à la moyenne décennale. À l heure d extraire les bilans chiffrés avant la trêve des confiseurs, conseils, brokers et consorts de la place immobilière parisienne ont le moral en berne. « Pour 2020, nous anticipons un take-up autour de 1,3 million de m2 contre plus de 2 millions les années précédentes », relate François Blin, directeur de l équipe Bureaux Paris du département Investissement de JLL. À chaud, ce trou d air historique s observe sous le prisme de deux lectures. « D abord, le marché subit un choc conjoncturel dû à la crise sani- taire », avance Fabrice Paget-Domet, président de Noe-REIM. Avec deux confinements et une écono- mie en berne, la visibilité business des entreprises s est réduite comme peau de chagrin passant de trois à cinq ans post-17 mars à six mois aujourd hui. « Par effet de cliquet, les grosses transactions locatives en cours ont été décalées », précise Barbara Koreniouguine, présidente de Cushman & Wakefield. Ensuite, les sociétés ont massivement choisi le home office pour leurs salariés. « Le télétravail, qui peut paraître plus structurant pour les prochaines années, semble aussi très propre à la situation sanitaire », poursuit Fabrice Paget-Domet. À froid, si le contexte sanitaire et économique ne s améliore pas en 2021 malgré l espoir d un vaccin, on imagine volon- tiers des gouttes de sueur sur le front des propriétaires. Car la petite musique tourne déjà en boucle : faut-il encore construire des bureaux neufs ?
« La destruction est parfois créatrice » À cette question, là encore, appuyons-nous sur les chiffres. Au 30 septembre 2020, l on comptabilisait plus de 2,4 millions de m2 de bureaux en chantier dans le Grand Paris livrables à horizon 2023 selon la dernière édition du Grand Paris Office Crane Survey produite par Deloitte. Sur cette production, plus de 1,6 million de m2 restent à commercialiser. Un excé- dent d offre inédit qui interroge les banquiers qui financent la pierre. « À court terme, il serait judicieux de mettre un coup de frein à cette production, lâche l un d entre eux. Dans le cas contraire, la machine va s en- rayer et provoquer un déséquilibre profond dont le marché pourrait avoir du mal à se remettre. » Sans vouloir jouer l oiseau de mauvais augure, il poursuit : « Le Covid- 19 n est qu une crise parmi d autres que l on va vivre au cours de cette nouvelle décennie. » Pour lancer, acheter, louer « sauver » leurs bijoux tertiaires neufs, pro- moteurs et investisseurs ont plusieurs cordes à leurs arcs. « La destruction est parfois créatrice de valeur pour reprendre Joseph Schumpeter. C est l un des moteurs de nos économies modernes, pose Mohamed Azroumbaze, directeur général de Noe-REIM. La crise devrait nous permettre de construire des bureaux nouvelle génération pour répondre à une demande dont les exigences sont en train d évoluer. Ce changement est antérieur au Covid, il
s est juste accéléré, et c est une nécessité. » À commencer par la prise en compte du télétravail. Car, comme le souligne Natixis dans une étude, la pratique du home office pourrait vider, à l horizon 2030, 11 millions de m2 de bureaux, soit 20 % du parc en Île-de-France. « Ce chiffre est très alarmant », confesse en off un zinzin très exposé sur cette classe d actifs.
Performance supérieure Dans une économie où l incertitude devient une certi- tude, l on pourrait s attendre à ce que le marché des Vefa s effondre, tout comme la demande placée. Que nenni. « Après un 1er trimestre actif et un 2e trimestre à l arrêt, près de 590 M ont été investis en Vefa au 3e trimestre 2020 », témoigne François Blin. Au total, ce sont près de 1,5 Md qui ont été investis en Vefa soit 15 % des investissements réalisés entre janvier et septembre sur les bureaux en Île-de-France. « Cette performance est très nettement supérieure à celle observée l an dernier à la même période » (+21 %), poursuit le conseil. Dans le détail, deux des quatre transactions du T3 concernent des immeubles parisiens (Toko et le 46-48 Grande- Armée). Autre élément à retenir selon JLL : les volumes investis en Vefa depuis le début de l année portent majoritairement sur des opérations en blanc. Sur ce segment, la crise du Covid-19 n a semble-t-il pas ébranlé les convictions d Ivanhoé Cambridge. L investisseur québécois a pris possession pour plus de 200 M du campus Joya (50 000 m2) à Fontenay- sous-Bois dont la livraison est attendue pour 2022. « Ce nouveau projet s inscrit dans notre vision de de dyna- mique de croissance du Grand Paris à long terme, l un des territoires stratégiques de notre politique d investissement en Europe », confie Karim Habra, directeur général pour l Europe et l Asie d Ivanhoé Cambridge. Au cœur du premier confinement, il source, en off market, un ensemble de 4 000 m2 à redévelopper sous l adage de la mixité sur le boulevard Voltaire, à Paris 11e. « Notre capacité d investissement sans recours à de la dette externe ainsi qu une exécution agile et rapide nous ont permis de sécuriser ces transactions. »
« La crise devrait nous permettre de construire des bureaux nouvelle génération pour répondre à une demande dont les exigences sont en train d évoluer »
- Mohamed Azroumbaze, Noe-REIM
22 | Magazine Business Immo #171 Décembre 2020