Business Immo : Quel est le positionnement de la Fabrique de la cité : think tank, do thank, outil de lobbying, antichambre de Vinci ?
Cécile Maisonneuve : Ni outil de lob- bying, ni antichambre de Vinci, La Fabrique de la cité est à mi-chemin entre le think tank et le do tank, un laboratoire d idées pour celles et ceux qui veulent faire, un fonds de dotation investi d une mission d intérêt général : penser et dire la ville. Car la ville, c est d abord des mots, et les mots, c est une vision. Vinci, notre mécène depuis dix ans, est à la fois une source d inspiration, une partie pre- nante, un acteur de l urbain avec lequel nous partageons une certaine approche de la manière de faire la ville. La démarche de la Fabrique de la cité s inscrit dans une logique de boucles d interactions plus que de linéarités et vise à réunir des acteurs qui ont envie de faire autrement. Qui doivent faire autrement, comme l incarne le projet de l Université de la Ville de demain que nous bâtissons avec la Fondation Palladio. Cette posture sous-entend une approche pluridisciplinaire associant le penseur et l entrepreneur, mais aussi une dimension internationale qui reste notre marque de fabrique. En effet, toutes les villes se posent la question de l urbain et avec la pandémie, la question de la den- sité, du lien entre bâti et espace public, de la résilience... Nous sommes véritable- ment entrés dans une universalisation des mêmes questions urbaines.
BI : Cette filière de l immobilier et de la ville parle-t-elle d une seule et même voix face aux pouvoirs publics ou ses acteurs arrivent-ils en ordre encore trop dispersé pour être audibles ?
CM : Je considère que nous sommes à un tournant de la représentation de cette filière face à nos gouvernants. Hier, lorsque nous leur tendions un miroir, chacun de ces acteurs y voyait son reflet. Aujourd hui, c est celui d une filière tout entière qui se dégage. À l aune de sujets tels que le plan de neutralité carbone ou le « zéro artificialisation nette », chaque acteur, même le plus gros, est contraint de se poser la question de l autre. La puis- sance des transitions en cours rattrape tous ces acteurs. Le vrai sujet, il est du côté des pouvoirs
publics. Et le problème, c est la conver- gence des accélérations. Si tout s active chez les acteurs économiques, il y a aussi au sein des pouvoirs publics des querelles entre Anciens et Modernes. En tout état de cause, privés comme publics, leur logi- ciel sur la fabrique de la ville est en passe de changer.
BI : La crise sanitaire a fait naître un sentiment de « peur sur la ville » au bénéfice d une autre proposition incarnée notamment par la ville moyenne. Est-ce une découverte ou une redécouverte ?
CM : Au cours de notre première édition des rencontres des villes moyennes qui se tiendra en ligne les 25 et 26 novembre prochains, nous verrons que le concept de la ville moyenne n existe pas. Ce sujet difficile ne se conçoit qu au pluriel : on pense et on parle des villes moyennes en prenant soin d éviter deux écueils : d un côté, le fantasme de la ville idéale, à l inverse d une métropole qui serait responsable de tous les maux, de l autre, une vision des villes moyennes que je qualifierais de dépressive. Certes, pen- dant des années, le discours politique a ultra-valorisé les métropoles en insistant sur l effet de levier de l argent investi. Ce n est plus suffisant. Même si la crise ne va pas remettre en cause le phénomène de métropolisation au long cours, il est nécessaire de réinscrire les villes moyennes sur la carte (et pas seulement sur le ter- ritoire) et d arrêter d opposer les unes aux autres. Un exemple : en matière de mobilités urbaines, la volonté de décar- boner doit aller de pair avec la question de l accès, notamment à l emploi. Vous l aurez compris, tout passe désormais par les liens plus que par les produits.
Le sujet majeur de notre projet « villes moyennes » est double : partir des usages, mais aussi aller jusqu au bout des usages. C est ce que nous allons étudier grâce notamment aux résultats d un sondage que nous allons publier, dans lequel ont notamment été interrogés des habitants de quatre villes moyennes (Cahors, Quimper, Charleville-Mézières, Chaumont) et d une métropole (Toulouse). Notre ambi- tion est d interroger la représentation par rapport aux réalités.
BI : Urgence climatique, cherté de l immobilier : quels sont, à votre échelle, les défis de la ville d après- demain ?
CM : Je mettrais la crise climatique au même niveau que la crise sociale. En Europe, les villes ont été conçues pour et par les classes moyennes sur la base d un système social et urbain vertueux. Mais aujourd hui, il faut prendre garde à ce qu est l ADN de nos villes, dans quelle mesure les métropoles produisent des populations insiders dans les centres urbains denses, laissant en périphé- rie et dans les autres villes des outsiders pour reprendre la sémantique chère aux experts du marché du travail et comment on aborde la question de l accessibilité. Construire une ville neutre carbone, on sait faire techniquement, branche par branche, filière par filière. Bâtir une ville neutre carbone accessible au plus grand nombre : c est cela l enjeu. Ce retour des villes moyennes dans le dis- cours est l expression d une crainte. Une crainte que les métropoles ne deviennent des forteresses. Une crainte que la grande ville exclue plus qu elle n intègre. Nos métropoles ne peuvent devenir des sanc- tuaires. Il faut agir vite.
« Nos métropoles ne peuvent devenir des sanctuaires. Il faut agir vite »
36 | Magazine Business Immo #171 Décembre 2020
EN COUVERTURE /2020 : LE CHOC