GRAND ANGLE / MORATOIRE : LE COMMERCE SUR PAUSE ?
Hasard du calendrier. Le 29 juin 2020, au lendemain de la vague verte aux élections municipales, le chef de l État Emmanuel Macron recevait à l Élysée les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC). En véritable VRP du climat converti sur le tard, il adoube l une des propositions phares : l instaura- tion, par la voie législative, d un moratoire sur les zones commerciales pour les périphéries des villes afin de lutter contre l artificialisation des sols. Quatre mois plus tard, les acteurs de l immobilier de commerce sont dans le brouillard : rien n a filtré sur le projet de loi en cours d écriture dans la for- teresse de Bercy. Seule préexiste, à l heure actuelle, une circulaire signée par le Premier ministre, Jean Castex, et adressée aux préfets le 24 août 2020. « Sans attendre leur traduction législative et régle- mentaire, une action déterminée peut être immédia- tement menée ( ) », couche sur le papier l hôte de Matignon. « Les projets, pour être autorisés, ne doivent pas compromettre cet impératif » pour enrayer l arti- ficialisation des sols. Un sujet de société sur lequel tout le monde, ou presque, tombe d accord. À un détail près. Contraindre ou inciter : le débat devient vite clivant. « Ce moratoire est un abus de langage, réagit vivement Gontran Thüring, délégué général du Conseil natio- nal des centres commerciaux (CNCC). Il s agira ni plus ni moins d une interdiction ! » Et Jérôme Le Grelle, Executive Director Retail chez CBRE, d emboîter : « J interdis, donc j existe : rien de mieux que cette spécificité française pour figer les choses sur le terrain. » Avant de critiquer la future mesure, les acteurs immobiliers interrogés tiennent à « rétablir une certaine vérité » : seules 4 % des terres agricoles artificialisées ces dernières années l ont été pour construire des commerces. « Ce n est pas le commerce qui artificialise et imperméabilise le plus les sols, mais la construction de logements et les voiries publiques », intervient Pascal Madry, directeur de l Institut pour la Ville et le Commerce (voir interview p.20). Surtout, promoteurs et enseignes précisent que la loi Élan donne déjà la possibilité aux préfets de bloquer l instruction des dossiers de CDAC pendant trois voire quatre ans. Selon les données du CNCC, cette mesure aurait été utilisée a minima à deux reprises au cœur de la « Diagonale du vide » l Allier. Manières de cow-boy Deuxième flèche décochée à l encontre de la pro- position de la Convention citoyenne pour le cli- mat : depuis cinq ans, l heure n est plus à la création d ensembles neufs XXL, mais plutôt à la restructu- ration d ensembles obsolètes. Les projets ex nihilo EuropaCity, Ode à la Mer, Open Sky Rennes Pacé, Val Tolosa ont tous en commun d avoir été sacri- fiés sur l autel de l urgence climatique ou de la vin- dicte populaire (voir p.22). « Moratoire ou non, le
marché n est plus constitué de créations ex nihilo, mais à court terme de 80 % de rénovation extension et à long terme de redéveloppement d ensembles mixtes », avance Christian Dubois, directeur du département Retail France de Cushman & Wakefield. Bel et bien opposés au moratoire, les membres du CNCC agitent le chiffon rouge : « on risque de figer un urba- nisme d entrées de villes déjà désuet et de multiplier les bidonvilles commerciaux ». « Bien au contraire, rétorque Sylvain Grisot, urbaniste et fondateur de dixit.net. En évitant la fuite en avant, on redonne de la valeur aux espaces existants qui peuvent être repen- sés, y compris dans leur monofonctionnalité. Sans le moratoire, le risque est de voir se multiplier autour de nos villes les friches commerciales. » Un mouvement déjà très largement amorcé aux États-Unis et qui trace son sillon dans l Hexagone. Effectivement, l on y dénombre déjà 6 millions de m2 de commerces à reprendre. « Qui achète ces friches outre-Atlantique ? interroge Sylvain Grisot. Amazon et d autres opéra- teurs logistiques qui s implantent ainsi à proximité des centres urbains. » Réservoirs de mètres carrés Un observateur du marché n hésite pas à dézinguer en off certains acteurs privés : « Des investisseurs, en développant des produits neufs à proximité de ces zones de commerces, en accélèrent l obsolescence et les dessèchent économiquement. » « Ces manières de cow- boy ne participent pas à trouver des solutions pérennes et ainsi éviter ce moratoire », assène un défenseur du commerce de centre-ville. Seuils de mètres carrés à ne pas dépasser, interdiction de créer de nouvelles
Lire l article « Jean Castex mobilise
les préfets contre l artificialisation des sols »
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Novembre 2020 #170 Magazine Business Immo | 17