Enrayer l artificialisation des sols : tout le monde semble d accord. Mais le gel de nouvelles zones commerciales via un moratoire national tend à crisper le débat entre les acteurs publics et privés. Pour prendre de la hauteur sur ce dossier, Business Immo donne la parole à Pascal Madry, directeur de l Institut pour la Ville et le Commerce.
Propos recueillis par Aurélien Jouhanneau
« Ce moratoire national arrive trop tard »
toute sa justification localement. Mais, au final, il arrive trop tard. Surtout, il nous empêche de penser intelligemment la suite des événements. Cette mesure ne répond pas, par exemple, à la montée en puissance du e-commerce et de ses besoins de mètres carrés logistiques. Il semblerait ainsi plus judicieux d instaurer un moratoire sur les entrepôts de vente à distance pour protéger le commerce des villes. Mais cela n a pas été relevé par la Convention citoyenne.
BI : Quel peut être le principal effet négatif d une telle mesure ? PM : Le risque majeur serait d accélérer le phénomène d enfrichement des zones commerciales, en cours depuis quelques années. Le nombre de friches commerciales résultant de la fermeture de grandes et moyennes surfaces a doublé en six ans, passant de 2 900 en 2013 à 6 000 en 2019. Au lieu de figer le commerce de périphérie des villes avec une telle mesure, il devient primordial de sauver chaque mètre carré et d en imaginer la reconversion si besoin. Il est donc urgent d ouvrir le chapitre d une nouvelle doctrine : quel commerce souhaitons-nous pour demain, sachant que celui-ci occupera moins d espace, qu il en libèrera davantage qu il en artificialisera ? Pour y répondre, il ne faut pas cliver, mais rassembler l ensemble de l écosystème de la fabrique de la ville.
BI : Ce moratoire va-t-il permettre de lutter durablement contre l artificialisation des sols ? PM : Ce n est pas le commerce qui artificialise le plus les sols, mais la construction de logements et les voiries publiques ! Une fois cette vérité rétablie, il convient d admettre qu à travers les mobilités individuelles carbonées qu il encourage, le commerce participe à la perturbation du climat. Afin de trouver des solutions pérennes, pourquoi ne pas penser cette offre commerciale de périphérie en véritable offre de commerce de centralité ? Pour y parvenir, il faudrait densifier ces zones en logements et, là où cela est possible, améliorer leur desserte en transport en commun.
BI : Cette volonté gouvernementale ne risque-t-elle pas de fragiliser les business models des opérations de commerce ? PM : Aujourd hui, si un opérateur réhabilite un mètre carré de commerce, il lui faut développer un mètre carré nouveau pour que son opération soit viable économiquement. Or, cette logique ne résout en rien le problème du trop-plein de mètres carrés de surfaces commerciales. Collectivement, il nous faut inventer de nouveaux modèles de portages immobiliers sur le long terme et revoir la valorisation des actifs. De nouveaux acteurs pourraient être mobilisés pour participer au tour de table financier de ces opérations : territoires, SEM locales, collecteurs d épargne locale de type crowdfunding
Pascal Madry, Institut pour la Ville et le Commerce
Business Immo : Le moratoire porté par le gouvernement sur la création de nouvelles zones commerciales de périphérie est-il justifié ? Pascal Madry : Un large consensus rassemble les acteurs privés et les pouvoirs publics, État comme collectivités : nous surproduisons des mètres carrés de commerce depuis les années 1990. À titre d exemple, en trente ans, le parc des hypermarchés a doublé alors que le chiffre d affaires de ces opus de commerce est resté identique en euros constants. De ce point de vue, le moratoire apparaît comme la « bonne idée ». Or, depuis 2016, le marché de l immobilier commercial se discipline. Si pendant les années fastes, les Commissions départementales d aménagement commercial (CDAC) pouvaient valider jusqu à 4 millions de mètres carrés par an, aujourd hui ces dernières en autorisent « seulement » un million. En revanche, il existe encore une vingtaine de villes en France à l exemple de Cambrai, Dax, Carcassonne , dont l offre commerciale est parvenue à un niveau très élevé de saturation et où persistent d importants projets de mètres carrés, à venir en périphérie comme en centre-ville. De fait, pour réguler ces excès, ce moratoire trouve
© D
R
20 | Magazine Business Immo #170 Novembre 2020
GRAND ANGLE / MORATOIRE : LE COMMERCE SUR PAUSE ?