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Business Immo : Qu est-ce que le label ISR immobilier ? Arnaud Dewachter : C est une marque publique, propriété de l État, créée en 2016 par voie réglementaire. Il ne concernait jusqu à présent que les seuls fonds de gestion de titres financiers. Avec un bilan au 1er avril dernier de près de 400 véhicules labellisés pour 150 Mds d actifs sous gestion. Le référentiel à publier prochainement intègre la gestion d actifs immobiliers dans le champ de la labellisation ISR. À ce stade, le label ISR immobilier ne concernera que les investissements et la gestion réalisés par le biais des fonds non cotés (FIA) et des mandats.

BI : Quel devrait être l effet de la crise du coronavirus sur l ISR immobilier ? AD : Cette crise d une ampleur historique est un électrochoc au sein d une opinion publique mondiale volontiers oublieuse de son extrême vulnérabilité face à son environnement. On reconnaîtra plus tard que les plus sombres projections du Groupe d experts intergouvernemental sur l évolution du climat (Giec) n avaient produit jusqu à présent qu un effet mesuré sur les politiques publiques et le comportement des acteurs privés. On saura désormais mieux apprécier les impacts sanitaires, sociaux et économiques déjà dévastateurs d une situation qui pourrait apparaître comme une vaguelette en comparaison du tsunami planétaire lié à une catastrophe climatique. Pour prévenir l irruption de cette dernière et construire notre « monde d après », l ISR ne sera qu une voie d action parmi de nombreuses autres. Mais la reconnaissance de sa pertinence par le plus grand nombre devrait être largement accélérée.

BI : Quelles sont les spécificités de l immobilier au regard de l ISR ? AD : La modification du label a d abord été motivée par la demande croissante des investisseurs (institutionnels et « grand public ») en faveur d un rendu extra-financier de leur allocation en immobilier. Ce qui nécessitait la normalisation des démarches des gestionnaires dont la communication sur leur action « responsable » devient de plus en plus nourrie. En outre, il faut rappeler la congruence spontanée entre les FIA en immobilier et les trois piliers de l ESG. D abord du fait même du modèle de fonctionnement des fonds de gestion des « actifs réels ». À la différence de son homologue des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), le gestionnaire de fonds immobilier assume non pas seulement la gestion du véhicule, mais aussi celle du sous- jacent qui en constitue l actif. Il dispose ainsi des leviers pour que son action professionnelle ait un effet extra-financier sensible et mesurable dans toute la mesure du possible. Pour appliquer à l immobilier la terminologie propre au label ISR des valeurs mobilières, le gestionnaire et l émetteur ne font plus qu un. Par ailleurs, l immobilier est un facteur d influence sur les trois domaines ESG. Le « E » avec la « révolution verte » du secteur engagée en 2008 par le Plan bâtiment durable. Le « S », car l immobilier est sociétal par essence tant il a accompagné le développement humain depuis l apparition du Néolithique. Quelque 10 000 ans plus tard, les urbains des pays développés passeraient en moyenne quotidienne 22 heures sur 24 dans un bâtiment. Le « G » dans la mesure où l immeuble est un lieu de rattachement avec des individus sur lesquels le gestionnaire ISR peut exercer une influence (locataires) ou même une contrainte contractuelle (prestataires) afin que ces derniers s engagent à leur tour dans une démarche personnelle ou professionnelle durable et vertueuse.

BI : Comment un fonds immobilier obtient-il le label ISR immobilier ? AD : Pour exposer très brièvement le processus, le référentiel peut être résumé par le leitmotiv « Je dis ce que fais, je fais ce que je dis », au sens où il situe le gestionnaire du fonds ISR en « liberté contrôlée ». Ce dernier définit la stratégie ISR d un fonds correspondant aux caractéristiques de ce dernier, cet engagement étant contractuel (je dis ce que fais). Il doit en outre apporter régulièrement la démonstration qu il a respecté les engagements pris auprès du « labellisateur », de l AMF et des investisseurs (je fais ce que je dis). Contrairement à l une des idées répandues et fausses sur le label, il ne s agit pas de collectionner les immeubles dotés d une certification au sein d un fonds. Mais plutôt de déterminer une mesure de la performance ESG de chaque actif détenu et d améliorer cette dernière dans le temps. Petit à petit, les benchmarks de place se construiront.

BI : Le label ISR immobilier est-il véritablement exigeant ? AD : Nous sommes confiants dans le fait que la labellisation en ISR immobilier devrait écarter le risque de greenwashing (écoblanchiment). Car l obtention du sésame auprès du labellisateur demande de l engagement et des moyens. Par la quantité d informations nécessaire au calcul de la note ESG de chaque immeuble, par les coûts liés à certains travaux et équipements, par la nécessité d impliquer et de responsabiliser les équipes métiers, par la précision des reportings à produire. N allez pas dire à nos clients déjà engagés dans la démarche de labellisation de leurs fonds que l examen est réussi d avance !

BI : Vous parliez d idées fausses sur le label ISR immobilier. Quelles sont-elles ? AD : C est vrai qu à peine lancé, le label ISR véhicule avec lui trois idées fausses. C est un signe parmi d autres que la discipline est naissante. La sémantique qui l entoure n est pas encore stabilisée. La première idée fausse concerne le véhicule : le nouveau label n est pas un énième « label vert » des bâtiments. En premier lieu, il sanctionne la gestion du fonds et non pas l actif pris individuellement. Par ailleurs, la part des critères environnementaux de la note ESG de l immeuble sera cantonnée à 60 % du total, de manière à contraindre le gestionnaire du FIA à agir aussi dans le pilier sociétal (S) et la gouvernance (G). Enfin, au regard de l état du parc immobilier français très majoritairement constitué de bâtiments construits il y a plus de cinq ans et son taux de renouvellement (grossièrement estimé à 1 % par an), la démarche ISR immobilier devrait majoritairement concerner les immeubles à améliorer (« Best in Progress »). La deuxième idée reçue a trait à l investisseur. Ce dernier n entend pas a priori renoncer à une part de la performance financière de l investissement. En revanche, il est attaché à connaître l impact extra-financier des capitaux qu il a confiés. Il est donc plus exigeant qu un investisseur ordinaire et l ISR se distingue de l impact investing (dans lequel le volet extra- financier prend une part prépondérante) et, a fortiori, de la philanthropie. Enfin, la troisième concerne les locataires. Si le gestionnaire immobilier labellisé ISR doit prendre en considération les intérêts des preneurs, la situation sociale de ces derniers n est toutefois pas une condition essentielle dans la démarche de labellisation. On peut « faire de l ISR » avec un fonds d immeubles abritant des cols blancs à La Défense et, inversement, ne pas parvenir à cocher toutes les cases en gérant un parc de logements sociaux.

Mai 2020 #165 Magazine Business Immo | 34

L ESSENTIEL DE L IMMOBILIER / GRAND ANGLE